Dans le cadre de son Master en Design Graphique, Perrine Laville a questionné Julien Vey sur la philosophie et la méthodologie de travail de l’Atelier Belle Lurette. Nous sommes un jeudi d’hiver pluvieux, le brouillard s’est levé sur un Paris en pleine hibernation et les locaux de l’Atelier sentent l’encre de chine et le Lapsang Souchong Impérial infusé avec amour.

Bonjour Julien !
Bonjour.

Tout d’abord, afin de cerner votre Atelier, quel service proposez-vous dans votre agence ?

Nous proposons la conception-création de l’ensemble des éléments relatifs à la communication visuelle, de l’identité visuelle à la publicité en passant par la conception interactive (web), digitale (smartphone) ou encore vidéo (motion design, stop motion ou captation), et un conseil en communication. Nous proposons également depuis cette année de la formation professionnelle et spécifique, du BTS Design Graphique au Master Concepteur Graphique, dans des écoles parisiennes.

En ce sens, qui sont vos clients ?

Nous travaillons avec tous les clients imaginables (et consentants) : SNCF, l’Agence France Locale, les Commissions Nationales des Droits de l’Homme, la Confédération Nationale des producteurs de vin AOC, le bureau d’études et de conseils en habitat Citémétrie, la web-émission La Nuit Nous Attendra, etc. Nous n’avons aucune préférence particulière.

Avez-vous des partenaires, des collaborateurs ?

Nous travaillons en étroite relation avec des développeurs de contenus interactifs, des réalisateurs, des photographes, des illustrateurs et, bien entendu, des imprimeurs.

Très bien. Diriez-vous que vous êtes spécialisés dans un secteur et lequel ?

Nous sommes spécialisés dans tous les secteurs, ce qui est à la fois un paradoxe et un choix stratégique : dans la mesure ou la méthodologie de travail du design ne dépend absolument pas du secteur, l’idée de se spécialiser est en totale contradiction avec notre philosophie.

Concernant la création, justement, pourquoi ce nom pour votre agence ? Que représente ce logo ?

L’Atelier Belle Lurette est un nom qui a fait l’unanimité parmi nos troupes, et c’est un exploit ! Il exprime ce travail d’artisan que nous prônons à travers sa dénomination d’atelier, et Belle Lurette nous permet de situer nos productions dans le temps ; nous étions assez jeunes lorsque nous avons créé la société et c’était une manière de s’assumer que d’en rire en basant notre raison sociale sur cette notion de longévité. Nous aimions également l’idée de parler d’un graphisme durable qui vieillira bien.

De plus, le mot est agréable en bouche et sympathique à l’oreille. Aujourd’hui, nos clients et nos proches nous appellent plutôt « Belle Lulu ».

Le logo est un tampon de peinture bleu sur une illustration faite à la main, à l’encre noire, et qui change à chaque utilisation. C’est l’idée de modularité, de flexibilité, d’évolution perpétuelle combinée à la plasticité de la peinture. C’est laborieux à gérer mais efficace et cela semble plaire !

Comment pouvez-vous définir l’ambiance de la boîte en trois  mots ?

En trois mots ? (rire) Encre, débat et pétanque !

Et quels sont les objectifs professionnels de cet Atelier ?

Nous nous contentons de trois choses : la pertinence de nos propositions, l’esthétisme de nos créations et notre liberté personnelle. Ces objectifs ont toujours été atteints dans la mesure où c’est avant tout leur absence qui a motivé la création de l’Atelier Belle Lurette, et ce sont ces éléments qui font l’âme de notre société.

Pouvez-vous vous présenter ? Votre statut et votre rôle au sein de l’agence ?

Je suis Julien Vey, directeur de création chez Belle Lurette. Je suis, à l’image de mes deux associés, dans des tracas perpétuels de mots, de couleurs, de formes, de typographies, de papiers et de pixels. Je suis également formateur en design de message au Campus de la Fonderie de l’Image par le biais de l’Atelier Belle Lurette.

Pouvez-vous présenter votre équipe et le poste de chacun ?

Nous sommes trois associés à la tête de l’Atelier Belle Lurette : Matthieu Roche, président et directeur de création, et Davide Maria, planeur stratégique et concepteur-rédacteur. Nous travaillons actuellement avec Nina Mareschal, notre directrice artistique, et Gustave, le bouledogue français du président qui a une patte graphique et poilue.

Comment s’organise votre équipe face à un projet classique ?

Nous abordons chacun le projet de manière personnelle pour approfondir la demande avant de mettre en commun nos intuitions, analyses, objectifs et partis pris. Ces discussions agitées aboutissent généralement à une décision collégiale et le travail se répartit naturellement selon nos envies ou nos affinités. Concernant les corvées en tout genre, nous faisons un pierre-feuille-ciseaux officiel ; c’est une question d’équité.

Qui se charge du graphisme ? Et comment se compose l’équipe en charge ?

En ce qui nous concerne, le graphisme n’est pas une « charge ». Nous travaillons en groupe, en débats, en engueulades parfois, en convoquant les éléments de notre culture personnelle, culture qui fait notre unicité. Nous voyons le graphisme comme quelque chose d’intime qui se modèle par la pensée et par l’apport d’une part de subjectivité du moment que cela reste pertinent par rapport au sujet.

Concernant la finalisation des concepts graphiques, c’est à dire leur réalisation technique, Matthieu, Nina ou moi-même pouvons indifféremment nous charger de l’exécution selon notre rapport au projet, au client, et en fonction de notre emploi du temps ou encore de nos envies.

Faites-vous appel à des personnes extérieures pour vos projets ?

Il nous arrive parfois de sous-traiter des prestations très techniques (développement spécifique, etc.) mais nous assurons systématiquement la maîtrise d’ouvrage.

Quelle est votre dernière création ?

Ma dernière création se trouve être une affiche de série Z mettant en scène Georges Brassens : « Les copains zombies d’abord » (rire). Si vous m’aviez demandé cela la semaine dernière, j’aurais pu briller en répondant l’identité visuelle d’une société de production cinématographique. Tans pis !

Qu’est ce qui fait la force de votre travail ?

Nous tentons toujours de créer des choses audacieuses, que l’on réserve habituellement aux études ou à la recherche, sans s’entendre dire que « ça ne marchera pas » parce que « ça ne ressemble pas à ce que l’on voit habituellement » ou que « ce n’est pas ce que veut le client ». L’audace. Ou l’insouciance peut-être ? Et cela fonctionne ! Nos clients sont finalement satisfaits de se voir proposer des choses audacieuses, bien que ce ne soit pas toujours ce qu’ils « avaient imaginé » avant de nous rencontrer.

Avez-vous un projet qui vous tient vraiment à coeur et pourquoi ?

Personnellement, je suis assez proche des projets autour de la nourriture. Mon côté franc-comtois sans doute. Nous avons conçu l’identité visuelle et le concept de packaging d’un food truck antillais que j’ai particulièrement aimé porter : autour du thème du voyage, du timbre et du tampon, et finalisé par la production éco-responsable de packagings en bois réutilisables (ou inflammables, pour réchauffer vos soirées entre amis avec le feu des caraïbes). C’était un projet agréable à réaliser car notre client comprenait (et appréciait) notre démarche et nous avons pu aller au bout de notre idée. De plus, au final, ça se mange.

Avez-vous une anecdote à nous raconter à ce sujet ?

Oui (rire), j’ai dû traverser une forêt de sapins pour arriver à l’entrepôt où notre prestataire fabriquait les fameuses boîtes en bois. Sur le chemin, en prenant ce qui me semblait être un raccourci, j’ai eu l’occasion de tomber sur une tâche de cèpes, mais je n’avais pas de panier… Le prestataire en question a accepté de me prêter une dizaine de boîtes pour pouvoir ramasser les champignons à condition que je lui en laisse une partie ; nous avions passé notre premier deal !

Avez-vous une réussite significative dans votre agence ? Si oui laquelle ?

Travailler pour le Parcours des saveurs de la SNCF a sans douté été une des réussites notables de la société. C’est un projet intéressant, autour de la découverte du terroir et de son parfum en région Centre, offert par un client grandiose. Nous avons connu un succès similaire plus récemment avec notre travail pour la Confédération Nationale des producteurs de vin et eaux-de-vie de vin à Appellations d’Origine Contrôlée (quand on vous dit qu’on aime la bouffe).

Dans un autre registre, nous avons également été sélectionnés pour figurer dans les 100 affiches retenues pour l’exposition Poster For Tomorrow sur le thème des droits du travail.

Comment vous démarquez-vous des concurrents, auprès des clients ?

Notre ton est notre principale arme. Nous ne pouvons concurrencer des sociétés comme Dragon rouge sur le terrain du prestige, mais nous pouvons surprendre nos collaborateurs par l’audace de nos propositions et l’engagement de nos discours. Nous sommes davantage dans une posture créative que commerciale : c’est notre principale différence avec les grandes agences parisiennes.

Après cela, notre portfolio parle pour nous.

Comment travaillez-vous avec vos clients ?

Nous prenons un briefing détaillé autour d’un café, ou dans un café, puis nous travaillons le temps nécessaire pour produire des pistes graphiques avant de revoir notre client pour lui présenter nos propositions. Nous retravaillons ces dernières dans la mesure où nous sommes en accord avec les remarques faites par le client, en refusant un maximum les retours subjectifs ou en contradiction avec le briefing initial.

Selon vous, le client est-il roi ? Et sinon, quelles limites donnez-vous ?

Le client n’est certainement pas le roi. C’est une chose importante car lorsqu’un client nous choisit, nous considérons qu’il le fait pour notre vision et notre travail. Dans notre portfolio, rien n’est le fait d’un client. En ce sens, si notre client veut la même qualité que ce que nous mettons en avant dans notre portfolio, et ce qui l’a normalement séduit au départ, cela doit passer par la confiance.

La limite étant ce que nous estimons être pertinent ou non. Nous ne produirons pas quelque chose que nous estimons sémiologiquement dangereux ou rétrograde, inesthétique ou sémantiquement incohérent. Pour résumer, nous ne produirions jamais quelque chose que nous aurions honte de signer.

Utilisez-vous les réseaux sociaux pour votre communication ?

Bien entendu, davantage comme un loisir que comme un outil de développement cependant ; nous profitons des réseaux pour publier nos blagues, principalement.

Comment communiquez-vous sur votre entreprise à l’extérieur ?

Aucune communication extérieure sinon nos cartes de visite. Nous n’avons malheureusement pas le temps de nous pencher sur cette question.

Et entre vous dans l’entreprise ?

On cause, on s’appelle, on tweet.

Recrutez-vous ?

Non, pas actuellement.

Comment faites-vous pour recruter ?

Nous recrutons parmi les jeunes que nous formons (soit durant les stages, soit dans le cadre de nos formations.)

Quel genre de profil recherchez vous ?

Aucun profil particulier, ou plutôt tous les profils particuliers. Ce sont souvent les propositions les plus inattendues qui retiennent notre intérêt.

Qu’est ce qui vous parait essentiel chez un candidat ?

Un candidat doit avoir deux choses : du talent (mis en avant par son book) et de la gueule (du caractère, de l’humour, une personnalité particulière, etc.)

Je vous remercie pour votre temps. Souhaitez-vous ajouter quelque chose à propos de Belle Lurette ?

Tout est dit ! Merci à vous, et merci pour l’intérêt que vous avez pu porter à notre Atelier.

Entrevue menée par Perrine Laville.
Le 19/02/2015