Lettre ouverte au stagiaire le plus célèbre de Suisse, de France et de Navarre.

Stagiaire,
Comme tu as dû le remarquer, tu fais la une. Tu fais les gros titres car tu as commis une grave erreur : tu as très mal choisi ton lieu de stage.

Si tu avais été plus chanceux, peut-être aurais-tu signé ta convention avec une agence qui aurait eu à cœur de t’apprendre les bonnes pratiques de ce qui est, il me semble, un métier hautement qualifié : graphiste, designer ou directeur artistique. Tu aurais pu travailler dans un studio qui t’aurait expliqué que les droits d’auteurs existent réellement et que lorsqu’on utilise une photo, il faut vérifier qu’elle soit libre de droits ou l’acheter pour obtenir ces droits auprès de son propriétaire. Tu aurais été encadré par un maître de stage qui t’aurait expliqué que Google n’est pas une banque d’images mais un moteur de recherche et qu’en ce sens, il ne faut pas y voler des clichés (in)connus pour illustrer tes publications. Avec encore plus de chance, ce directeur artistique t’aurait même expliqué que ton rendu graphique n’est pas particulièrement plaisant et qu’il existe sans doute des photos plus jolies et plus pertinentes pour améliorer le rendu de l’image que tu as proposé.
Mais voilà, tu n’as pas eu cette chance et tu débutes dans un monde où graphiste n’est pas un métier hautement qualifié et où la convention a remplacé le contrat à durée indéterminée. Dans un monde où l’on peut justifier son incompétence et sa malhonnêteté de cette façon :

« Il s’agit d’une photo qui a été téléchargée par une personne très jeune […]»

Tu es jeune, voire même très jeune. Tu n’es pas coupable, car tu ne savais pas, mais tu es tout de même responsable. Après tout, l’image, c’est ton métier. Pour le reste, face à l’horreur de « l’affaire Grégory », quel poids peut bien avoir le débat des droits d’auteur, du statut du graphiste, de sa reconnaissance professionnelle et des abus du milieu ? Pour éviter le débat, ayons recours à un euphémisme :

« […] concours de circonstances stupide. »

Si seulement le lessivage des jeunes stagiaires était un cas isolé. Mais pourtant, à l’heure du crowdsourcing où n’importe qui peut proposer n’importe quoi à des décisionnaires qui, souvent, ne savent pas vraiment ce qu’est un signe, une image ou un logo ; à l’heure des appels d’offres privés et, plus grave encore, publics, demandant à des professionnels de travailler gratuitement en esperant être choisis par ces mêmes décisionnaires ; à l’heure des logos préfabriqués à 15 € le paquet de dix, personnalisables facilement par ces mêmes décisionnaires ; à l’heure où le designer n’est plus un cerveau mais une main sachant naviguer dans les méandres de logiciels de moins en moins compliqués mais, pourtant, de plus en plus pointus ; à cette heure-là, à qui cette erreur va-t-elle servir de leçon ? Après tout, ce n’est pas l’échec d’un mode de pensée mais, comme nous le souligne Libération, bien TA faute, « jeune graphiste ignorant ».

Mais laisse-moi te rassurer un petit peu, stagiaire, car ta carrière ne va pas s’arrêter là. Nous avons tous fait des erreurs lors de nos stages, les nôtres ont simplement été corrigées par nos responsables. Toi, tu étais ton propre supérieur, ton propre responsable, ton propre formateur et le sacrifice humain supposé dévier l’encre de la presse boulevardière et apaiser la colère légitime des parents du petit Grégory Villemin.

Si tu souhaites poursuivre ton apprentissage du métier, sache simplement que tu restes le bienvenu chez nous, à l’Atelier Belle Lurette et, j’en suis sûr, chez beaucoup d’autres ateliers, agences ou studios qui partageront notre sentiment.

En attendant, je te souhaite une excellente continuation et te dis à très bientôt.

PS: Si l’aventure te tente, adresse ta demande de stage à coucou@3615bellelurette.com.